Eleições no Senegal

Sénégal : Faye doit contrer "subordination" d'Afrique

Le jeune homme politique Bassirou Diomaye Faye, vainqueur des élections présidentielles au Sénégal, a promis de nombreux changements, dont l'introduction d'une nouvelle monnaie pour remplacer le franc CFA. Faye, qui se présente comme panafricaniste, veut elle aussi réformer le Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

Quels projets le nouveau chef de l’Etat aura-t-il dans le domaine géopolitique ? Dans une interview accordée à DW Afrique, l'analyste guinéenne Sumaila Jaló affirme que le Sénégal devrait « s'ouvrir au monde », mais en s'opposant à la « subalternisation » par rapport aux grandes puissances.

DW Afrique : Que représente l’élection de Bassirou Diomaye Faye pour la région ?

Sumaila Jaló (SJ) : L'élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal a beaucoup à voir avec la dynamique des contestations populaires et des prises de position politiques, mais aussi militaires contre des intérêts identifiés dans la sous-région et au Sénégal en particulier, un leader politique a su capitaliser sur ces revendications populaires pour son projet politique. Reste maintenant à voir comment le nouveau président conciliera sa position anti-système déclarée avec les besoins du Sénégal d'interagir avec le monde et avec la France également, qui est un pays important pour les relations internationales du Sénégal. Mais il a déjà défendu qu’il s’agirait d’une relation dans laquelle le Sénégal n’assumerait pas ou ne continuerait pas d’assumer le rôle de subordonné par rapport à ses partenaires occidentaux notamment.

DW Africa : Vous avez parlé des relations avec le reste du monde. Selon vous, quelle voie allez-vous emprunter ? Le Sénégal va-t-il pencher davantage vers l’Occident ? Cela ouvrira-t-il un espace à la Russie ?

SJ : Depuis toujours, Ousmane Sonko et son parti affirment que tous les pays, dans le cadre des relations internationales, seront importants pour le Sénégal et parlent même de la Russie, de la Chine, des Etats-Unis, de l'Amérique, de la France. Je pense que cette voie est la voie à suivre, non seulement pour le Sénégal, mais pour tous les pays africains. L’ouverture au monde commence cependant à refuser et à contrecarrer la subordination des pays africains par rapport aux puissances internationales, car la coopération doit être sur un pied d’égalité et défendre les intérêts des parties impliquées. Et pour la sous-région elle-même, ce sera un défi que de commencer très rapidement à voir comment les nouveaux pouvoirs s'établiront, tant militairement que démocratiquement, comme c'est le cas heureux du Sénégal, contre les puissances de domination internationale, mais aussi pour le bénéfice des peuples de leurs pays respectifs.

DW Afrique : Et Faye, qui se considère comme panafricaniste, parle d’une réforme de la CEDEAO, qui traverse une période difficile. Comment interprétez-vous cela ?

SJ : L’État sénégalais a toujours été un agent très important des intérêts français en Afrique de l’Ouest. C’est pourquoi cette rupture, ce début de rupture, est désormais importante pour la sous-région elle-même. La CEDEAO, en particulier, est devenue récemment une sorte d'union des chefs d'État des pays membres de l'organisation. Rappelons que récemment ses structures étaient présidées par un leader autoritaire, à savoir Umaro Sissoco Embaló, président de Guinée-Bissau, fortement influencé par le président toujours en exercice au Sénégal, Macky Sall. Ainsi, lorsque Bassirou Diomaye Faye parle particulièrement de réforme au sein de la CEDEAO, c'est un besoin qui existe et ce besoin est clair.

DW Afrique : La victoire d’un jeune homme politique de l’opposition contestataire pourrait-elle représenter un changement de paradigme dans la région ?

SJ : Les dynamiques de la sous-région se sont manifestées en ce sens et le Sénégal constitue un cas particulier car le soulèvement populaire s'est allié à un leadership politique éclairé et a conduit à un changement de pouvoir à travers des mécanismes démocratiques et à travers des élections. Mais il y a eu des soulèvements dans d’autres pays qui ont conduit à d’autres formes de changement de pouvoir et ces revendications étaient aussi des signes. Et affirmativement, tant au Mali qu'au Burkina Faso et aussi au Niger, avant, les peuples réclamaient aussi contre la CEDEAO. Ces signaux venus du Sénégal résonnent donc inévitablement dans d’autres coins de la sous-région et constituent des signaux très forts auxquels la CEDEAO elle-même doit prêter une attention particulière, afin de ne pas être également le signe avant-coureur d’un affaiblissement de l’influence de l’organisation parmi les États membres.