Génocide au Rwanda : Processus "symbolique" à Paris

Génocide au Rwanda : Processus "symbolique" à Paris

Le 6 avril 1994 marque un triste tournant dans l’histoire du Rwanda. L’avion du président Juvénal Habyarima a été touché par un missile alors qu’il revenait de Tanzanie. Tous les occupants, y compris le président du Burundi de l’époque, Cyprien Ntaryamira, sont morts. À ce jour, on ne sait pas qui est responsable de cet acte.

Cependant, cet incident est considéré comme le déclencheur du génocide au cours duquel des centaines de milliers de personnes ont été tuées. Le président Habyarima appartenait à la majorité hutue, qui imputait l’attaque à la minorité tutsie. Peu de temps après, le groupe a commencé à assassiner des Tutsis et des Hutus modérés.

A partir de ce mardi, un gynécologue sera jugé à Paris pour avoir prétendument facilité les meurtres de masse dans la circonscription de Butare, au sud du Rwanda, actuellement connue sous le nom de Huye. Ce sera le septième procès sur le génocide rwandais en France. Les parties civiles parlent d’une affaire à dimension symbolique.

À Butare, les tueries ont commencé environ deux semaines après la mort du président rwandais. On estime que plus de 200 000 personnes ont été tuées.

Le gynécologue Sosthène Munyemana, 68 ans, membre de l’ethnie Hutu, travaillait dans un hôpital de cette ville. À la mi-juin, il a déclaré avoir fui d’abord vers la République démocratique du Congo, puis s’être rendu en France, où il vit avec trois enfants. Munyemana travaille dans un hôpital du sud-ouest de la France depuis 2001.

Complice du génocide ?

Le médecin est désormais accusé d’implication dans le génocide et les crimes contre l’humanité au Rwanda. Avec d’autres personnalités locales, il aurait signé une lettre ouverte de soutien au gouvernement de transition qui a systématiquement organisé le génocide. Munyemana est également accusé d’avoir enfermé des personnes dans des conditions inhumaines dans les locaux du gouvernement local, dont il détenait la clé. Cela aura permis de les transporter vers d’autres endroits.

Toutefois, Jean-Yves Dupeux, l’avocat du médecin, rejette ces accusations. Selon lui, la lettre ouverte était datée du 16 avril – à cette époque il n’y avait pas encore eu de massacres à Butare.

« Mon client pensait que le gouvernement provisoire pouvait servir de rempart contre la guerre civile à venir », explique Dupeux à la DW.

L’autre accusation serait également un malentendu. « Le 23 avril, on lui a remis la clé d’un bâtiment gouvernemental pour cacher plusieurs groupes de personnes, afin qu’ils ne soient pas tués. Le maire a envoyé un camion pour les récupérer. Sosthène Munyemana a tenu la porte du camion. La plupart d’entre eux ont été exécutés plus tard, mais mon client ne savait rien », raconte Dupreux.

Munyemana est accusé d’avoir participé activement au transport des victimes – il affirme lui-même qu’il ne l’a pas fait consciemment, se contentant de tenir la porte.

En outre, le gouvernement rwandais actuel fera pression sur les témoins pour qu’ils témoignent contre Munyemana parce qu’il pourrait devenir un leader potentiel de l’opposition, poursuit l’avocat : « Le gouvernement du Rwanda est un régime dictatorial et oppressif. Un récent rapport de l’organisation Human Rights Watchdog Human Rights Watch affirme que le régime rwandais fait tout ce qu’il peut pour faire taire l’opposition ou les personnes influentes à l’étranger. »

Questions sur la pression politique

Mais la juge Aurélia Devos précise qu’elle connaît cet argument, car elle a travaillé pendant dix ans à la tête de la section des crimes de guerre du parquet de Paris, créée en 2012.

« Dans ce type de crime, qui est souvent commis avec un sentiment de légitimité pour défendre son gouvernement ou son pays, la manière de se défendre est de dire qu’on est poursuivi pour des raisons politiques », a déclaré le juge dans des déclarations à DW.

Selon Devos, « tous les accusés du Tribunal pénal international pour le Rwanda ont utilisé cet argument selon lequel ils sont poursuivis pour des raisons politiques et les témoins seraient prêts à les accuser ».

Alain Gauthier, co-fondateur de l’Association des lanceurs d’alerte civils pour le Rwanda (CPCR), qui représente 25 plaignants dans cette affaire, remet également en question l’argument de la pression politique.

« Personnellement, même si je suis allé plusieurs fois au Rwanda, je n’ai jamais été témoin de pressions sur les témoins à décharge », commente-t-il.

Gauthier ajoute qu’il a assisté à de nombreux procès, mais celui-ci sera symbolique pour lui. « Cette fois, un médecin dont la profession est de soigner des gens sera jugé, mais il est accusé d’être responsable de l’exécution de nombreux Tutsis. Jusqu’à présent, des militaires, des maires, des miliciens ont été jugés, mais jamais des médecins. »

Ce sera le septième procès en France pour le génocide rwandais. Le pays a la responsabilité morale de juger ces affaires, estime la juge Aurélia Devos : « Selon le principe de non-rétroactivité, en France, on ne peut pas expulser vers le Rwanda des personnes accusées de génocide, car, à l’époque, il n’y avait pas de loi sur génocide. C’est pourquoi nous devons porter ces affaires devant les tribunaux ici », dit-il.

Le verdict devrait être annoncé le 19 décembre.